Star walkin' ~ (★≧▽^))★☆ -

Alors qu’un vent d’agitation parcourait la foule rassemblée dans les gradins, les lumières - immobiles jusque-là, se mirent à danser sur le plateau. Les discussions s’interrompirent et des applaudissements tonitruants accompagnèrent l’arrivée sur le plateau d’une silhouette enveloppée par les faisceaux lumineux des projecteurs.

Élégamment habillé, impeccablement coiffé, l’homme offrit un sourire d’une blancheur éclatante au public ainsi qu’à l’œil de la caméra. Sa tablette dernier cri dans une main, il salua ses admirateurs de l’autre. Patiemment, il attendait que le calme revienne pour emplir l’air de sa voix grave et envoûtante, celle dont il était si fier. Celle qui, d’après ses récits, l’avait propulsé vers le sommet de la chaîne alimentaire.

« Mesdames et Messieurs. Petits et grands. Bonsoir à vous. C’est avec un immense plaisir que je vous accueille pour la dernière émission de notre édition spéciale. Comme vous le savez maintenant, tout au long de la semaine, nous avons accueilli sur ce plateau des étoiles montantes de la scène, du petit et grand écran. Des prodiges qui ne cessent de nous envoûter par leurs talents. Afin de clore cette incroyable semaine en beauté, nous ne pouvions ignorer vos demandes et ne pas faire venir celle dont le nom est connu par un grand nombre d’entre vous. En effet, depuis sa tendre enfance, elle fait partie de notre quotidien. De nombreuses apparitions sur nos téléviseurs, des campagnes publicitaires et des partenariats avec les plus grandes marques ont révélé son talent. Après s’être retirée du devant de la scène, il y a quelques années, son retour a secoué la presse people toute entière. De muette à chanteuse, elle est désormais compositrice et interprète. Mesdames et messieurs, je vous demande un tonnerre d’applaudissement pour Calista ! »

Enfin, il l’avait bouclée. Son interminable discours s’était tant étendu qu’il lui avait arraché un bâillement. D’un geste dédaigneux, elle repoussa sa chevelure vers l’arrière. Parfaite jusqu’au bout de ses ongles manucurés, il était grand temps pour elle de faire son entrée. Elle fit claquer ses talons contre le sol du plateau. Un ravissant sourire habillait ses lèvres maquillées. Tout en s’avançant, Calista salua chaleureusement le troupeau qui l’acclamait. Après de brèves embrassades avec le présentateur, elle prit place au creux du fauteuil préparé à son attention. Gracile et à l’aise, elle ne semblait absolument pas perturbée. Elle n’était pas impressionnée. Pas une seule trace de nervosité n’était présente sur ses traits de poupée. Et pour cause, elle n’appréhendait pas. Elle était ici chez elle. Ce plateau était l’empire qu’elle avait toujours connu et sur lequel elle avait plein pouvoir. Un claquement de doigt suffirait.

« Bonsoir Calista. Bienvenue. Nous sommes tous très heureux de vous accueillir ici. »

Elle hocha doucement la tête, adressant un nouveau sourire en direction de son public tant adoré.

« J’étais impatient de votre venue, car, pour être honnête avec vous, depuis l’annonce de votre retour, une question me brûle les lèvres. Pourquoi la musique ? Comment ? Comment ce soudain revirement de situation a-t-il été possible ? Êtes-vous guérie ? »

Une main se porta à ses lèvres et un silencieux rire s’échappait de cette gorge délicate, incapable d’émettre le moindre son. Ses yeux se posaient sur l’écran de son téléphone et la jeune femme se mit à pianoter à toute vitesse. Après quelques secondes, c’est une voix robotique qui se mit à parler à sa place :

« J’ai toujours été passionnée par la musique. Étrangement, cet univers s’est révélé être le seul médium grâce auquel j’ai pu manifester ma voix, le seul moyen pour m’exprimer oralement.»
« Vous pouvez…chanter mais pas parler ? Comment est-ce possible? »
«Aucun médecin n'a pu répondre à cette question. Un jour, mon corps s’est débloqué et je me suis mise à chantonner. Je ne pouvais ignorer ce signe du destin. Je me suis entourée et j’ai saisi cette opportunité.»
« C’est presque difficile à croire. On croirait entendre un récit fantastique ! Et pourtant, les faits sont là… Est-ce vrai que vous composez vos propres chansons ? »
« Tout à fait. Créer et écrire mes œuvres, c'est pour moi une thérapie. Je suis plus qu’heureuse de partager mes créations avec ceux qui font de mon rêve une réalité. »
«En toute franchise, j’ai écouté plusieurs de vos chansons et je dois l’avouer, j’ai été charmé. Toutefois, maintenant, que vous me parlez de thérapie, je suis curieux d’en savoir plus. Vous évoquez de nombreuses thématiques, mais celle de l’amour fraternel est récurrente. On retrouve également souvent un personnage, celui d’une petite fille.  Trop pour l'ignorer. Parlez vous de vous-même ? Car, si c’est le cas, je suis confus. N’avez-vous pas toujours vécu avec votre père ? Je pensais que… »

Elle l’interrompit d’un geste de la main avant de se mettre à taper.

« Avant toute chose, merci pour vos compliments. J’ai découvert de nombreux bienfaits à l’écriture. Elle apaise les cœurs et l’âme. Et concernant mon père, vous avez raison oui. J’ai toujours vécu avec lui. Toujours.»
« Mais... Je ne comprends pas. Jamais vous n'avez parlé d'un frère, pourtant. Dans aucune interview. Sur aucun plateau. Mais à vous entendre… »

Une fois encore, elle leva la main.

« Oui. Je n'ai pas de frère. Ou plutôt, je n'en ai plus maintenant. C’est un secret que j’ai longtemps gardé pour moi. Voyez vous, mon frère n'est plus de ce monde. Il est décédé et sa perte a été un choc pour moi. Depuis le jour où mon père m'a annoncé la nouvelle, je ne m'en suis jamais vraiment remise.»

Elle effleura sa gorge du bout des doigts, un air peiné peint sur ses traits.

« Toutefois, j’ai été choyée. J’ai connu l’amour d’un foyer, le confort d’avoir un toit sur ma tête et de quoi manger dans mon assiette. C’est pour cette raison que je ne peux qu’éprouver de la compassion envers tous ces enfants et malheureux qui n’ont pas eu cette chance. Je chante aussi pour eux.»
« Je comprends. Je vois… C'est admirable.», un bref silence s’installa sur le plateau, alors que les yeux  de l’homme se posaient sur ses mains. Toutes traces d'attendrissement furent chassées et il s’exclamait, « Oh ! », sa main se tendit vers elle, « Puis-je ? »

Il en avait oublié la tragédie et l'existence des plus démunis. Après tout, lui aussi n’était qu’hypocrisie et faux semblants. Un hochement de tête approbateur plus tard, sa paume était prisonnière de celle du présentateur.

« Calista, est-ce des jetons qui sont représentés sur vos ongles ? Ainsi que des…dés ?! Ne me dites pas que…Vous vous êtes laissé tenter par les jeux de hasard ? »

Un nouveau rire silencieux agita sa gorge traumatisée. La jeune femme reprit possession de sa main afin de faire courir ses doigts sur son écran, une fois de plus.

« Absolument pas ! Les jeux de hasard sont une chose que je n’approuve pas et que je proscris. Bien trop d’histoires tragiques ont débuté par une simple visite au casino. L’art sur mes ongles est l’œuvre d’une créatrice connue sous le nom de Xénus. Elle est à l’origine de ma récente passion pour les jeux de plateau. Je me suis rendue à une....convention récemment afin de l’aider à promouvoir son jeu. C’est là que ce nail art a vu le jour. »
« Xénus ?! Je n’ai jamais entendu ce nom. Vous m’intriguez. Dites nous en plus. »
« Je n’ai pas encore l’expérience nécessaire pour vous en parler longuement. Voyez vous, mon premier jet de dés date d’à peine quelques semaines. Toutefois, grâce à cette aventure, je vois certaines choses différemment. »
« Je suis confus. Parlez-vous bien d’un jeu de plateau ? Comment est-ce qu’une telle activité a pu tant vous…impacter? »
« De quoi d’autre pourrais-je parler, Tom ? Connaissez vous Donjons et Dragons ? »
« Oui. Le fameux jeu de rôle sur table ? »
« Exactement. Le jeu de Xénus s’inspire de ce concept. Cette personne est une magicienne. Elle fait voyager ses joueurs, elle les plonge dans un univers très riche. On s'y croirait presque. Lors des parties, des dés sont jetés afin de déterminer les actions des héros que nous incarnons. C’est le seul cas de figure où il me semble acceptable de se tourner vers le hasard. »
« Très bien. Le concept du jeu me semble plus clair. Cependant, je ne vois toujours pas comment un simple jeu pourrait impacter la vie d’autrui ? De la façon dont vous en parler, j'ai l'impression que cela vous a changé.»
« Oh. Et bien, disons qu’au fil des parties, on prend conscience de certaines choses. Je ne peux pas vraiment vous l’expliquer avec des mots. Cela fait partie de ces choses qu’il faut expérimenter. Pour ma part, j’ai compris, entre autre, que le bonheur pouvait être bien plus proche que ce qu’on a tendance à croire. »
« Le bonheur ? »
« Oui, Tom. Le bonheur. »
« Ah, Calista. Je vais finir par croire que vous aimez nous tenir en haleine et vous draper de mystères. »

Il fit une brève pause et un sourire mutin naquit sur ses lèvres, un bref instant.

« Je me vois obligé d’insister et de vous tirer les vers du nez. Je voudrais revenir sur le sujet de votre carrière musicale. En effet, j’ai le sentiment que vous ne nous dites pas tout. Les récits que vous chantez semblent si vrais. C’est comme si vous parliez d’expérience…personnelle. J’ai l’impression que la petite fille que vous décrivez si souvent, c’est vous. Ai-je tort ? »
« Vous devenez malpoli, Tom.  Je me documente. Je me renseigne. Voilà tout. Je ne vais quand même pas vous sortir mon acte de naissance pour que vous forcer à arrêter ? »
« Ne prenez pas la mouche, enfin. Les quartiers que vous évoquez sont-ils ceux dont nous entendons si souvent parler sur nos chaînes locales ? Car les similarités sont frappantes...»
« La misère est une chose homogène, Tom.»
Oui, c'est vrai mais, ce n'est pas ce qui intéresse le public, Calista. Vos fans veulent savoir, avez-vous un lien avec ces quartiers ?»
« Non, Tom.»
« Alors...Y avez-vous secrètement habité lors de votre documentation ? Afin d’en saisir l’atmosphère ? De vous en imprégner ? »
«Pas vraiment, non.»
«J'ai beaucoup de mal à croire que vous...»
«Cela m'est égal.»