Misfit Toy

Fils de pute. Son souvenir le plus lointain, c'est encore les cris de sa mère accompagnés des grincements répétés du sommier torturés au rythme des coups de bassins d’un nouveau client. Il était encore petit, il ne comprenait pas encore bien ce que faisait sa mère avec ces messieurs ni pourquoi le soir ell pleurait enfermée dans sa chambre sans s’arrêter ou encore pourquoi elle lui interdisait formellement d’y entrer. Sans père, souvent livré à lui-même à cause de l’emploi du temps bien trop chargé de sa génitrice, il grandit sans repère avec pour seul modèle les clients qui défilent dans l’appartement et qui le saluent en souriant. “Salut, fils de pute.”

Pauvreté, manque de moyen, il fréquente toujours les pires écoles. Il s’ennuie, se crée des problèmes et commence à avoir les pires fréquentations. Il n’a qu’un seul ami avec qui il passe le plus clair de son temps. Il se fait de l’argent de poche en faisant le guet pour des dealers ou encore en vendant parfois lui-même lorsque l’occasion se présente. A treize ans il fume sa première clope, à quinze il tape sa première bouteille, à seize il entre dans le crime organisé pour de bon, entraîné par son ami d’enfance. Parce qu’il faut bien vivre. Et vivre aux crochets de sa catin de mère ça ne l’intéresse pas. Une perspective qui le dégoûte tant qu’il lui offrira lui-même une sortie à ce cauchemar sans fin. Lors d’une dernière étreinte entre une mère et son fils, le son de deux coups de feu étouffés par un oreiller.

Comptable pour faire bonne figure, sa priorité reste néanmoins les activités illicites et autres bails sombres. Collecteur de dettes pour le compte de l’organisation, il use de tous les moyens nécessaires au recouvrement. Passage à tabac, torture, il est même responsable de plusieurs meurtres. Organisé et méticuleux, il s’est toujours arrangé pour ne pas laisser de traces et pour être couvert lorsque la situation l’exige.

Sa vie n’a pas vraiment changé lorsqu’il a récemment découvert les dés. Un soir comme un autre, chargé de s’occuper d’un mauvais payeur. Disposant de toutes les informations nécessaires, il est entré dans le vieux magasin d'antiquité en forçant la serrure sans aucun mal. Le tintement du carillon se fait entendre, mais il sait qu’il ne sera pas vu si aisément. Au fond de la boutique se trouve une porte dérobée. Il est déjà venu ici et sait parfaitement ce qui se cache derrière. Alors sa main gantée plonge dans la poche de son manteau pour en ressortir son fidèle calibre muni d’un silencieux. Puis il pousse la porte, dévoilant à ses yeux la salle de jeu improvisée, la petite table ronde, les quelques étagères emplies de bouteilles et de verres, la forte odeur de cigarette. Autour de la table quatre têtes cartes en mains. Trois coups de feu, trois corps qui s’écroulent misérablement Son arme braquée sur sa cible, il s’avance et le dépouille de son arme sans un mot. Il contourne la table de nouveau et pousse négligemment un corps au sol pour s’installer sur la chaise en face de l’homme. Il manipule le révolver quelques instants avant de déboiter le barillet pour en retirer les balles.Sauf une.

Ses iris bleutés se relèvent vers le visage de l’homme bien trop intimidé pour tenter quoi que ce soit. Celui qu’on appelait déjà Heaven prend le temps de s’allumer une cigarette, de soulever les quelques cartes étalées sur la table.

“Carré de rois. Si je l’avais pas tué, t’aurais perdu encore plus d’argent.”

Il pointe son arme en direction de son vis-à-vis.

“Mon patron n’aime pas les mauvais payeurs et tu le sais. Je sais pas ce qui t’es passé par la tête, mais tu es dans une sacrée merde. Mais tu me connais, je suis quelqu’un de bien, alors je vais te laisser une chance, comme tu aimes jouer, nous allons jouer..”

Il pointe le canon du Revolver contre sa propre tempe sans lâcher des yeux son interlocuteur avant d’appuyer sur la détente faisant pivoter le barillet et actionnant le chien en un clic sonore. Il tend ensuite l’arme à l’homme face à lui.

“A ton tour.”

L’homme hésitant, garde les yeux rivés sur le Revolver sans oser bouger.  

“On peut s’arranger… Je compte payer bientôt… Juste quelques jours de plus…”
“Joue.” répond t-il simplement en agitant vaguement le canon de son arme.

Le type déglutit avant de refermer sa main sur l’arme. Il ferme les yeux, le plus fort possible et dans un râle il finit par appuyer sur la détente. Clic. Soupir de soulagement, il repousse l’arme vers Heaven qui s’en saisit à nouveau et répèt l’opération sans ciller avant de la lui rendre. Il peut voir la sueur perler sur son front alors que de nouveau le canon de l’arme trouve le chemin de sa tête, le barillet pivote et le gangster lève la main.

“Tu as entendu ? Ce clac si particulier, c’est la balle qui est entrée dans la chambre. Appuies.”

Aucune réaction. Le brun se redresse légèrement pour se pencher par-dessus la table.

“Appuies ou c’est moi qui te descends.”

Un cri de désespoir, par manque de choix, l’homme finit par se décider à appuyer pour finalement se faire arracher l’arme des mains par un Heaven qui a apprécié la terreur qu’il a pu lire dans ses yeux. La dernière balle de l’arme s’échappe du canon pour aller se loger dans le genou de l'endetté qui s’écroule en hurlant de douleur alors que le criminel tourne les talons, un détail attire son attention. Une dizaine de dés bleus. En temps normal il n’y aurait pas accordé d’importance, cependant persuadé qu’ils n’avaient jamais été là, il décide de les ramasser avant de quitter la pièce.

“Trois jours.”

Une fois chez lui, affalé dans son canapé avec un verre, il tire de sa poche ces fameux dés qui l’empêchent d’être assis convenablement et d’un geste, il les balance dans un coin. Étrange spectacle devant ses yeux, il jette un regard accusateur à son verre à peine entamé. Cependant tout ceci est loin d’être une hallucination ou un rêve. Il venait de devenir ce que cet étrange X appelle un Dicer.